Ô NUIT !
Ô nuit des amoureux, des poètes et des chantres !
Ô nuit des fantômes, des esprits et des apparitions !
Ô nuit des passions, des ardeurs et des souvenirs !
Ô colosse qui se tient entre les brumes du coucher et les nymphes de l’aube, armé de l’épée de la terreur, couronné de la lune, vêtu de silence !
Tu observes avec mille yeux les profondeurs de la vie et tu écoutes avec mille oreilles le soupir de la mort et du néant.
Tu es l’obscurité qui nous montre les lumières du ciel, alors que le jour est la lumière qui nous inonde de l’obscurité de la terre.
Tu es l’espérance qui ouvre notre esprit sur le redoutable infini, alors que le jour est une illusion qui limite notre vue au mesurable et au quantifiable.
Tu es la quiétude qui révèle par son silence les mystères des esprits réveillés qui voguent dans l’espace suprême, alors que le jour est un vacarme qui agite les âmes agrippées au pan des ambitions et des chimères.
Tu es la justice qui rassemble, entre les ailes du sommeil, les rêves des faibles et les désirs des forts.
Tu es la pitié qui ferme de ses doigts invisibles les paupières des misérables et portent leurs cœurs vers un monde moins cruel.
Entre les plis de ta robe bleue, les amoureux soupirent et, à tes pieds humides de rosée, les esseulés pleurent.
Dans tes paumes au parfum de vallées, les étrangers laissent échapper leur ardent désir et leur nostalgie.
Tu es la compagne de vin des amoureux, la confidente des esseulés et la consolatrice des étrangers.
Sous ton aile, les sentiments des poètes fourmillent ; sur tes épaules, les cœurs des prophètes se réveillent ; entre tes tresses, la verve des penseurs frémit.
Tu es l’initiatrice des poètes, l’inspiratrice des prophètes et la conseillère des penseurs et des contemplateurs.
~ Khalil Gibran