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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 23:00
*PhotoGraphie © T.ZoHer - Le Geai du Parc de Bercy Village -

*PhotoGraphie © T.ZoHer - Le Geai du Parc de Bercy Village -

Un éclair de l’au-delà traverse mon cerveau. C’est une pie, ou un geai, qui vient de passer en rase-mottes dans le pré. Je n’ai pas eu le temps de bien voir ce que c’était, juste celui de savourer la joie du pur éclair. C’était l’entame de ma journée. Après, il y a eu la lumière qui franchissait l’obstacle des rideaux sales et tombait sur le carrelage de la cuisine. La lumière est une lettre ouverte. Elle me dit chaque fois le plus urgent: « Tiens, puisque tu me vois, puisque tu me prêtes attention et que tu m’aimes, c’est que tu es vivant. » Qu’est-ce que « voir »? Aujourd’hui, je dirais: c’est être cueilli; voilà, « cueilli »: quelque chose – un événement, une couleur, une force – vous fait venir à lui, comme les petits enfants prennent une marguerite par le cou, et tirent. La beauté nous décapite.

Un oiseau non reconnu et un rideau sale m’emmènent au ciel. Vous êtes derrière cette lettre que je vous écris. Vous êtes très difficile à atteindre. Il me semble que si je prends le plus banal, le secret que nous avons en commun d’avoir à mourir un jour, si j’empoigne un peu de lumière sale et que je la jette sur la page, vous serez là soudain, nous serons réunis par la même joie simple.

L’oiseau, c’était un geai, je crois. Quand je mets mes yeux dans les yeux des bêtes, tous les anges défilent devant moi. Plus tard, vers le milieu de l’après-midi, un silence s’est fait partout dans le pré. Plus d’oiseau, pas de vent, rien. Je pensais à cette lettre. Elle n’avançait pas. Le ciel soudain a pâli comme quelqu’un à qui on vient d’annoncer une mort. Les lumières ont tourné au gris, suffoquées. Il n’y avait plus rien. Des pensées, oui, mais des pensées sans force, aucune qui arrache le temps comme une vieille affiche pour découvrir la lumière éternelle par-dessous. Et puis le ciel s’est rallumé, tout a repris son cours. C’est quelque chose qui arrive très souvent, vers le milieu de l’après-midi. On s’en aperçoit peu. Il faut être prisonnier ou malade, ou assis devant une table, en train d’écrire, pour s’en apercevoir: l’étoffe du jour est trouée. Par les trous, on voit le diable – ou, si vous préférez ce mot plus calme, le néant. Il y a un instant où le monde est laissé seul. Abandonné. C’est comme si Dieu reprenait son souffle. Un intervalle de néant entre deux domaines de la lumière. 

Oui, cette fois, j’en suis sûr, c’était un geai. Je reconnais ces oiseaux à leur lourdeur qui fait leur grâce. Quand ils déploient leurs ailes, on dirait un jeu de cartes en éventail avec que des as. J’ai entendu un paysan se plaindre d’eux, de leurs larcins. Les geais et les mendiants appartiennent à la même confrérie décriée. L’oiseau avait traversé le néant, était ressorti de l’autre côté, faisant le lien entre deux domaines lumineux. Et comme le travail du geai ne suffisait pas et que la nature contrairement à Dieu ne nous abandonne jamais, la lumière est venue à la rescousse dans la cuisine, la lumière périssable a traversé le rideau sale de mon âme et m’a parlé de la lumière éternelle afin qu’à mon tour, je vous en parle, à vous.

 


- Christian Bobin

(Un assassin blanc comme neige)

 

Ce geai est apparût, cet après-midi, aussi soudainement qu'un éclaire ! sorti de je ne sais où, venu du ciel de l'arbre...

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